APOCALYPSE
Il m’avait annoncée la chose sans l’ombre d’une gêne, exposant sa désinvolture à la puissante bise marine qui faisait tournoyer des nuages de sable d’or.
Assommée par la chaleur, et surtout, par la violence de ses propos, je restais muette durant une minute interminable, une de ces minutes de rêveries où l’on bascule sur une chaise longue.
Comme à l’annonce d’une maladie, un cycle psychologique s’instaure dans l’esprit de l’être trompé. A cet instant, le choc m’avait médusée. Un moustique émergeant des marais salants de l’autre côté de la dune, vint me piquer et je l’observais sans songer à le déloger de mon épiderme.
Je demeurais lobotomisée dans cette phase d’inertie, le temps d’écouter tout ce qu’il lui restait à me dire, ce qu’il attendait de moi et ce que l’on allait faire de notre appartement.
Il me faisait de l’ombre, prostré face à moi dans son short rouge, quelques algues piquées dans sa chevelure châtain et ses yeux furetant dans la direction de sa complice.
Elle était ma meilleure amie, mais à présent je la toisais d’un autre œil…Oh la garce ! Elle posait sur moi un regard faussement désolé. Je me faisais la réflexion de me méfier des gens mielleux à l’avenir. Le miel, c’est bon pour abeilles, tous ceux qui possèdent un dard, du venin distillé dans le caractère pour se défendre à juste titre.
Je m’étais livrée gratuitement à elle, en confiance, lui présentant naïvement l’homme que j’aimais et que j’aime, ne me doutant pas un seul instant qu’elle l’ajouterait à son tableau de chasse, capturant le mâle après avoir endoctriné la femelle.
Il suffit qu’elle laissât couler l’eau sucrée de sa voix fraîche pour que je franchisse la seconde phase, celle de la colère ! J’eus envie de lui enfoncer un bouchon dans la gorge pour tarir le puits sans fond de son gosier aussi habile pour prodiguer des blandices que pour sucer la flûte enchantée de mon époux !
Je ne l’avais jamais su si jalouse de mon couple et de mon bonheur ; et à présent il fallait que je m’estimasse heureuse que les deux personnes qui m’étaient les plus chères s’épanouissent l’une dans l’autre, me laissant à part, libre si je le voulais de contempler le spectacle et peut être même de me joindre à leurs jeux gourmands.
Mais moi, je n’ai jamais été gourmande, j’étais gourmet. Poésie, raffinement, voilà ce à quoi j’aspirais depuis l’éclosion de mes onze printemps. Tout ce qui était sale et vulgaire, très peu pour moi. Tant d’années à chercher l’amie qui conviendrait à mon âme délicate pour me rendre compte que le visage angélique de la plus douce et de la plus élégante des filles cachait un esprit impur.
J’aurais pu lui saigner les veines pour la libérer de son poison, peut-être qu’ainsi elle serait redevenue l’amie qui avait tant séché mes larmes. J’aurais pu l’étrangler pour gommer les traits disgracieux de son faux sourire. J’aurais pu balayer la paille de sa tignasse à coup de pieds pour qu’elle eût l’air moins satisfaite.
J’aurais pu, j’aurais pu…Je ne sais réellement de quoi j’aurais été capable.
Il n’était point dans ma nature de me mettre en colère, aussi j’étais victime de mon introversion. Une crise de hoquets intempestifs m’incommodait. Tout ceci, c’était à cause des montées acides de sucs gastriques induites par mes contrariétés…
Je levais les yeux au ciel et j’observais le spectacle merveilleux de la draperie nuageuse bariolée de rayonnements solaires. Je priais pour qu’ils s’en aillassent très loin de mes yeux et de mon cœur. Que Dieu ait pitié de mon âme endeuillée !
Comme je priais et que je me libérais de ce qu’il restait de ma colère en m’enfonçant dans la troisième phase, celle de la tristesse, je sentais le vent siffler de plus en plus fort. Des gouttes d’eau salée vinrent éclabousser mon visage et je me mis à frissonner.
J’entendis derrière moi le choc violent des noix de coco tombées de leur arbre, l’une d’elle assomma une dame. Son compagnon hurla d’effroi en secouant son corps inanimé.
Bientôt les sycomores et les palmiers cédèrent à la force du typhon et la mer se souleva.
Le tsunami progressa en gagnant en taille et en puissance, prêt à se fondre sur toute la population de l’île.
Partout des cris. Lui et elle fascinés par le spectacle comme devant une attraction diabolique aux promesses renversantes et sources d’adrénaline. Ils s’avancèrent dangereusement, emportés par le charme irrésistible de cette nature déchaînée.
Je les regardais en me retournant de temps en temps dans ma course, guidée par une force inconnue qui me poussait à grimper en haut de la falaise.
Un étau enserrait ma tête tellement les sifflements du vent mêlés aux cris affolés des mouettes et aux hurlements des touristes et des insulaires m’agressaient.
Tout ce qui m’avait semblé beau et doux au regard quelques heures auparavant devenait froid aux épaules et brûlant à mes pieds. Ceux-ci heurtèrent des carcasses de crabes et des bancs de poissons agonisants à 300 mètres du rivage.
La vague déferla sur la plage en proférant un grondement assourdissant…
Je les vis emportés lui et elle par ce monstre des ondes. Quant à moi, je courrais du plus vite que mes courtes jambes me le permettaient. Je me rappelle être tombée d’une haute cime comme pour embrasser une dernière fois le monde terrestre.
J’avais chuté dans les profondeurs, longeant dans ma chute des ruisseaux de laves et des roches volcaniques.
Une étrange chauve-souris à la figure humaine m’insulta en écartant de ses griffes, les roches brûlantes et friables du centre de la terre.
Ici-bas, des cris de douleur et de terreur retentissaient. Je fus arrêtée dans ma chute par les racines de l’arbre, le plus profondément planté dans la terre, l’arbre de vie, celui qui avait été dérobé à Adam et Eve.
Il me retenait avec bienveillance à distance d’un étang de lave où se calcinaient des corps et des âmes. Parmi elles, celle de mon mari et celle de mon ancienne amie. Elle n’hésitait pas l’enfoncer plus profondément dans la lave pour gagner quelques minutes de répit.
Sans hésitation, je me suspendis par les jambes à l’arbre et tendis mes bras à mon époux pour le sauver de l’emprise délétère de cette peste. Il s’accrocha à moi et tous le poids de sa bêtise, je le ressentais pleinement en inspirant l’air pestilentiel qui régnait dans l’atmosphère infernale. Je manquais de lâcher prise, soudain ensorcelée par une mélancolie. Je me ressaisissais, décuplant mes forces pendant que mon époux se hissait jusqu’aux racines de l’arbre.
Quant à elle, elle regardait dans de vives souffrances sa chair en lambeaux.
Un souffle puissant, parfumé au jasmin, nous guida jusqu’au purgatoire où des anges nous fouettèrent avec des rameaux d’oliviers. Au-dessus de nos têtes, derrière le palais céleste resplendissait l’arbre de vie aux feuilles d’or et aux fruits délicieux que nous goutterons bientôt.
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